Quenya Tengwainen 3.2
Étude appliquée
© 2002-2011 Jérôme Sainton

Le Quenya Tengwainen est une étude de synthèse de l'écriture du quenya exilien en tengwar fëanoriens accompagnée d'un transcripteur.

La partie didactique de ce travail (§ I .1 .2 .3 .4 & II .1 .2 .3 .4 .5) conserve probablement son intérêt. En gardant à l'esprit qu'elle a été composée, pour l'essentiel, en 2002.

La partie applicative, quant à elle (§ III .1 .2 .3 dont le transcripteur à proprement parler), a maintenant passé la main à ses successeurs, plus performants, à commencer par le très illustre Glǽmscribe, lequel ne se limite d'ailleurs pas à l'écriture du quenya exilien — longue vie à lui, et que la fourrurre des pieds de BB & BB pousse toujours plus drue :) ! Le transcripteur du Quenya Tengwainen reste toutefois fonctionnel, pour les curieux. Sa réalisation fut inspirée des travaux précurseurs de Xavier Sainton ; qu'il en soit ici remercié.

I. ALPHABET

I.1   Les tengwar

tengwar primaires
I. tincotéma II. parmatéma III. calmatéma IV. quessetéma
1   1  t    [t]
tinco
 
  2  p    [p]
parma
 
  3  c/k    [k]
calma
 
  4  qu    [kw]
quessë
 
2 5  nd    [nd]
ando
 
6  mb    [mb]
umbar
 
7  ng    [ŋg]
anga
 
8  ngw    [ŋgw]
ungwë
 
3 9  þ, s    [θ, s]
þúlë
 
10  f    [f]
formen
 
11  h    [x/ç, x/ç/h]
aha
 
12  hw    [xw, ]
hwesta
 
4 13  nt    [nt]
anto
 
14  mp    [mp]
ampa
 
15  nc/nk    [ŋk]
anca
 
16  nqu    [ŋkw]
unquë
 
5 17  n    [n]
númen
 
18  m    [m]
malta
 
19  ñ, n    [ŋ, n]
ñoldo
  
20  ñw, nw   [ŋw, nw]
ñwalmë
 
6 21  r    fin.]
órë
 
22  v    [v]
vala
 
23  -   
anna
 
24  w/v    [w, w/v init.]
wilya
 
tengwar additionnels
25  r  [r intervoc.]
rómen
 
26  rd    [rd]
arda
 
27  l    [l]
lambë
 
28  ld    [ld]
alda
 
29  s    [s]
silmë
 
30  s    [s]
silmë nuquerna
31  z (r) > ss  [z > ss]
essë
 
32  z (r) > ss  [z > ss]
essë nuquerna
  
33  hy > h   [ç > h]
hyarmen
 
35  + i    [+]
yanta
 
36  + u    [+]
úrë
 
(37) h    [h > -]
halla
 
porteurs
(38) -   
porteur court
  
(39) -   
porteur long
  

Le tableau des tengwar est tiré de l'Appendice E du Seigneur des Anneaux où il est précisé que les tengwar y sont disposés selon l'usage du Gondor au Troisième Âge. « Le système contenait vingt-quatre lettres primaires, 1-24, organisées en quatre témar (séries), chacune d'entre elle ayant six tyeller (grades). Il y avait aussi des lettres additionnelles, dont les 25-36 sont des exemples. Parmi elles, seules 27 et 29 sont strictement indépendantes ; les restantes étant des modifications des autres lettres [...] ».

L'alphabet fëanorien est conçu à son origine comme un alphabet phonétique (tel l'alphabet grec primitif) : chaque son simple y est représenté par un seul signe graphique, et réciproquement chaque signe correspond à un son simple, toujours le même. D'où la relation organisée entre la morphologie des lettres primaires (formées d'un telco et d'un lúva ) et les sons qui leur sont attribués. Ce principe est ensuite aménagé selon les langues et, en ce qui concerne le mode classique d'écriture du quenya, l'on pourra voir attribuer à certains tengwar des correspondances avec des unités complexes. Par exemple les tengwar du grade 2 ne sont pas utilisés en quenya pour les occlusives sonores d'origine d, b, g (unités accoustiques simples) mais pour les combinaisons nd, mb, nc (unités complexes).

Nous avons fait figurer dans ce tableau les seules valeurs du quenya. Les tengwar y sont suivis de leur transcription en lettres latines, puis entre crochets, de leur valeur phonétique (d'après l'Alphabet Phonétique International). Les caractères séparés par des '/' donnent les alternatives de l'écriture latine de ces tengwar (l'alternative phonétique [ x/ç ] constituant quant à elle une exception au principe énoncé plus haut). Les séparations par des ',' dénotent elles de l'évolution dans le temps de la valeur assignée aux tengwar, tandis que la notation '>' indique un changement arbitraire d'utilisation du tengwa. En seconde ligne sont donnés les noms des tengwar, suivis de leur traduction. Des noms changèrent au cours des âges, accompagnant en cela les évolutions qui affectèrent certains tengwar. Sont ici donnés les noms tardifs des tengwar ; les évolutions de l'écriture et les changements provoqués dans l'alphabet (dont au niveau des noms) seront abordés plus en détail en III.3, où l'on précisera par ailleurs certaines indications de ce tableau.

Le Dictionnaire des langues elfiques d'Édouard Kloczko propose une reconstitution de l'alphabet originel tel qu'il se présentait à sa création par Fëanor, en insérant notamment la tyelpetéma entre les séries III et IV, et le grade des consonnes aspirées mentionné dans l'Appendice E (tengwar dont le telco se dressait à la fois au dessus et en dessous de la ligne). Mais l'usage des aspirées aurait été abandonné bien avant l'Exil, sauf peut-être par les Lambengolmor pour retranscrire des formes de quenya archaïque ou d'eldarin commun (assimililation en quenya de ces sons au grade 3 ?). Les palatales quant à elles cessèrent petit à petit d'être reportées comme des consonnes à part entière ; on préféra finalement considérer qu'un signe « y suivant » marquait les consonnes palatalisées (cf. Appendice E).

I.2   Les tehtar

ómatehtar
  (1)   (1 bis)   a/á    [a/a:]
(2) e/é    [ε/e:]       ↔       i/í    [ı/ı:]
(3) i/í    [ı/ı:]       ↔       e/é    [ε/e:]
(4) o/ó    [ɔ/o:]       ↔       u/ú    [u/u:]
(5) u/ú    [u/u:]       ↔       o/ó    [ɔ/o:]
autres
(6) + y    [j]
(7) (7 bis) + s    [s]
(8) (8 bis) (doublement des consonnes)
(9) (spécial)
(10) + y    [j]    (variante)

L'Appendice E décrit « les tehtar les plus communs  » sans toutefois comporter d'illustration, ce que complète la calligraphie du Namárië. Les tehtar des voyelles (les ómatehtar) étaient généralement positionnés au-dessus des tengwar. Les autres étaient en revanche placés en dessous (voire à l'intérieur dans le cas du tengwa lambë). Les numéros entre parenthèses sont de notre fait, par commodité. Les noms des tehtar ne sont pas certains ni tous connus : on peut inférer des Étymologies pour les tehtar 2, 3 et 9 (respectivement) : andatehta , amatixë , et unutixë . Peut-être le tehta 6 était-il alors désigné par *unutixet ? Les tehtar 7 et 7 bis n'apparaissent pas dans le Namárië mais ils sont décrits dans l'Appendice E du SdA et sont employés dans la transcription d'autres langues. L'unutixë apparaît dans le Menelluin, dans la première des Cinq formulations, et dans le Manuscript de Lowdham ; le tehta 10 est utilisé dans le Fragment du Galadriel's Lament.

I.3   La ponctuation

  (1)   ?
  (2)   !
  (3)   ,
  (4)   ;    :    .
  (5)   (fin de §)
  (6)   (point final)
  (7)   (   )

L'Appendice E ne fournit pas d'indication quant à la ponctuation. Les correspondances qui suivent sont déduites du seul Namárië, avec les limites que cela implique. La numérotation est à nouveau la nôtre. Le symbole des parenthèses n'apparaît pas dans un texte quenya, mais dans la Lettre du Roi (texte sindarin).

I.4   Les chiffres

  0   1   2   3   4   5   6   7   8   9   A   B

La graphie des chiffres n'apparaît pas dans les œuvres publiées de Tolkien. Quelques éléments ont pu être extraits de la Lettre du Roi, mais l'ensemble des connaissances a été rassemblé par Édouard Kloczko, dans son Dictionnaire, à partir des consultations ou publications idoines.

II. ÉCRITURE

II.1   La translittération latine

L'on a en principe un seul et même tengwa pour un seul et même son ou combinaison de sons. Aussi l'écriture latine du quenya peut-elle suivre fidèlement l'écriture elfique et, à quelques exceptions près, une seule et même de nos lettres (ou un seul et même ensemble de lettres) a été utilisé(e) par Tolkien pour un seul et même tengwa.

Les voyelles a, e, i, o, u  portent parfois des trémas, souvent en finale (ainsi du ë ) ou bien au sein d'un groupe de voyelles (autre que diphtongue), afin d'insister sur le fait que ces voyelles elfiques se prononcent entièrement et séparément. Mais ils sont optionnels et n'ont par exemple aucune correspondance dans la graphie elfique, où la prononciation des voyelles va de soi et où les diphtongues disposent de leur propre graphie. Les voyelles longues quant à elles, á, é, í, ó, ú , sont à peu près systématiquement écrites avec un accent aigu.

Le son [ k ] soit le tengwa calma a tantôt été transcrit par un c tantôt par un k, parfois au sein d'un même texte, et il ne semble pas qu'un choix définitif ait été jamais fait sur ce point (le Seigneur des Anneaux privilégie le c mais le Shibboleth revient à un usage important du k ...). La combinaison [ kw ] soit le tengwa quessë fut d'abord rendu par un q mais à partir du Seigneur des Anneaux Tolkien utilisa exclusivement la transcription qu. Il semblerait de même que le son [ ks ] soit calma+silmë fût souvent transcrit par ks mais qu'à partir du Seigneur des Anneaux le "raccourci" x fût préféré.

Les évolutions phonétiques du quenya infléchissent également le principe général. Ainsi les lettres ñ (ñw) et þ cédèrent la place, la plupart du temps, à n (nw) et s, témoignant ainsi dans l'écriture latine de l'évolution de la prononciation du ñoldorin, alors que l'écriture elfique maintenait ses tengwar : ñoldo, ñwalmë et þúlë. La lettre h quant à elle constitue un cas particulier, servant au final à transcrire trois tengwar différents : aha, hyarmen, et halla. Nous reviendrons en détail en III.3 sur l'usage de toutes ces lettres, et comment les évolutions de l'écriture elfique ont été (ou non) répercutées dans l'écriture latine.

Enfin, la transcription latine comporte parfois quelques élisions (cf. lúmenn' omentielvo au lieu de lúmenna omentielvo ) et quelques tirets (cf. aire-tári-lírinen & inyë tye-méla ). Le tiret ne reçoit pas de correspondance dans l'écriture elfique : un peu comme le tréma des voyelles, il ne vient certainement qu'en tant qu'aide à notre lecture. Le cas de l'élision n'est nulle part traité dans sa graphie. Nous ne savons pas si les lettres manquantes sont absentes de la transcription elfique, ou si l'élision n'est qu'une question de lecture - ainsi de la liaison en français : non inscrite dans la graphie mais déterminée uniquement à l'oral.

II.2   La transcription elfique

Le principe du mode classique de l'écriture du quenya consiste à enchaîner les tengwar dans une notation consonnantique de la chaîne parlée (tel qu'en hébreu) en lui supperposant les tehtar comme signes supplémentaires — dont ceux des voyelles (les ómatehtar) : la consonne, disent les Elfes, est ce qui donne « corps » à la syllabe tandis que la voyelle est ce qui la « colore ». Dans ce mode d'écriture, l'ómatehta correspondant à la voyelle se voit ainsi positionnée au-dessus du tengwa correspondant à la consonne précédente. À partir de ce principe général donc, suivent quelques précisions.

Au sujet des consonnes

Lors du doublement de consonnes un seul tengwa était transcrit mais il était souligné, à l'aide du tehta n°8 (ou 8 bis), ou encore ce dernier pouvait être superposé. En notant le cas particulier du doublement [ ss ] transcrit par le tengwa essë. De même pour les palatales : ty, ny, ry, ly et hy étaient rendues par les tengwar correspondants accompagnés de l'unutixet (tehta n°6). À noter que le tengwa anna, qui n'avait pas de valeur propre dans le quenya exilien, n'était plus utilisé que pour transcrire, accompagné de l'unutixet, le y seul (cf. yulma dans le Namárië). Dans tous les cas, les tehtar n° 6 et 8 (8 bis) se plaçaient sous les tengwar — sauf éventuellement à l'intérieur dans le cas du tengwa lambë.

Les tengwar silmë nuquerna et essë nuquerna ont les mêmes valeurs que les tengwar silmë et essë ; ils se prêtaient tout simplement mieux à la réception de tehtar. Mais l'emploi des derniers avec des tehtar était tout à fait valide (cf. lisse-miruvóreva et yassen dans le Namárië) ; il s'agit d'une alternative libre proposée dans l'écriture.

Les combinaisons ts, ps et x (cs) peuvent être rendues classiquement par l'association des tengwar appropriés, mais peuvent aussi être raccourcies en ajoutant simplement aux premiers tengwar le tehta n°7 (ou 7 bis), auquel cas le tengwa silmë disparaît.

  '       '       '       '       '        

Au sujet des voyelles

En l'absence de consonne à la position requise (voyelle à l'initiale, voyelles consécutives) le tehta des voyelles courtes était placé sur un porteur court (tengwa n°38) — et sans doute un porteur pouvait-il être employé même en cas de consonne disponible. Les voyelles longues étaient rendues par le doublement des tehtar, à l'exception de á et í, lesquels étaient transcrits par un seul tehta sur un porteur long (tengwa n°39). Les autres voyelles longues pouvaient également être transcrites de cette façon (cf. les deux occurrences différentes de yéni dans le Namárië) mais les boucles (tehtar n°4 et 5) étaient plus volontiers doublées.

L'ómatehta n°1 ou (dans des modes d'écriture plus rapides) sa variante n°1 bis était utilisé pour le a. Les deux ómatehtar n° 2 et 3 étaient utilisés respectivement, en majorité pour e et i, mais peut-être dans certains modes pour i et e. Les ómatehtar n° 4 et 5 étaient utilisés pour o et u, et l'inverse est cette fois peu probable : l'Appendice E précise que le premier des deux, boucle ouverte sur la droite, avait la préférence des Eldar et était donc employé pour la voyelle la plus utilisée (o en quenya mais u sur l'Anneau en noir-parler).

Enfin, l'Appendice E évoque l'omission du tehta a comme variante d'écriture possible, la voyelle a étant très fréquente en quenya : dans ce dernier cas les tengwar suivis du son [ a ] ne recevaient aucun tehta ; c'est l'absence de tehta qui témoignait du son [ a ], tandis que les tengwar libres (consonnes en fin de syllabe par exemple, n'étant suivies ni du a ni d'une autre voyelle) recevaient probablement l'unutixë, tehta n°9 (placé sous les tengwar, éventuellement à l'intérieur pour le tengwa lambë), comme c'est le cas dans l'une des Cinq formulations de vœux en quenya et dans le Menelluin.

      '       '       '        

Le cas des diphtongues

Les diphtongues sont traitées, en quelque sorte, comme des voyelles qui seraient transcrites à l'aide de porteurs spécifiques : le tengwa yanta n°35 pour les diphtongues en i [ + ] : ai, oi, ui ; le tengwa úrë n°36 pour les diphtongues en u [ + ] : au, eu, iu. Le tehta correspondant à la voyelle de la diphtongue est alors placé sur le tengwa correspondant à la semi-consonne de la diphtongue.

Dans le cas où un tengwa précédent est libre, il semble que le tehta puisse se positionner sur celui-ci, et le tengwa yanta ou úrë de suivre simplement. C'est ce que suggère la transcription de caita dans le Namárië (ainsi que les versions préparatoires de l'une des Cinq formulations). L'analogie avec l'écriture des voyelles serait alors entière : yanta et úrë tels des porteurs spécifiques aux diphtongues (mais obligatoires) tout comme les tengwar n°38 et 39 sont des porteurs spécifiques aux voyelles (plus ou moins facultatifs).

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Les variantes du Fragment

Plusieurs particularités distinguent le Fragment du Galadriel's Lament de la version complète du Namárië. En particulier le tehta a n'est transcrit que sur les premières syllabes des mots, c'est-à-dire jusqu'à et y compris celle recevant l'accent primaire d'intensité (une seule exception à miruvóreva).

En second lieu, le Fragment fait usage d'une variante du y, celui-ci se voyant transcrire à l'aide du tehta n°10 (non décrit par l'Appendice E) en lieu et place du n°6 (bien que cet échange ne soit pas systématique et que l'on retrouve dans la calligraphie tantôt le tehta classique tantôt ce tehta n°10). La transcription ainsi faite du y autorise alors le doublement du tehta i pour rendre le i long.

Une troisième particularité retiendra enfin notre attention : l'usage du tengwa órë en finale du mot ómaryo alors que ce r(y) ouvre la syllabe, rôle normalement dévolu à rómen (cf. III.3). Il s'agit probablement d'une erreur — la perspective selon laquelle deux tengwar auraient ainsi la même valeur phonétique intégrant mal la perspective de l'alphabet fëanorien (cf. I.1).

  '       '    

Autres variantes

La première des Cinq formulations transcrite en tengwar présente trois particularités. Elle rend le son y par le tengwa anna seul. Elle écrit la diphtongue ai comme deux voyelles consécutives. Et elle place l'unutixë sous les tengwar libres sans pour autant omettre le tehta a dans le reste de l'inscription.

La seconde des Cinq formulations en tengwar suit quant à elle, dans sa version définitive, le mode général, tout en omettant le tehta a sur les tengwar des consonnes doubles.

Le Menelluin pour sa part, s'écarte du mode classique en deux points. Le tengwa ando n°5 transcrit le son [ d ] et non la combinaison [ nd ], laquelle est rendue par l'ajout d'un tehta nasalisant au-dessus du tengwa. Et la diphtongue ui est transcrite comme deux voyelles consécutives.

II.3   Les évolutions

La langue des Ñoldor a fait l'objet de plusieurs évolutions, souvent liées à leur histoire même. Ces évolutions se sont traduites dans l'écriture par quelques modifications des valeurs attribuées aux tengwar, tantôt de légères évolutions, tantôt de véritables changements.

ázë (árë) > essë

À l'origine le tengwa n°31 portait le son [ z ] et s'appelait ázë . Mais lorsque les Ñoldor abandonnèrent le son [ z ] pour [ ɹ ], ils vinrent à utiliser le tengwa órë là où ázë (árë) était jusque là employé. Le tengwa n°31 devenait donc libre, et c'est alors que les Ñoldor lui attribuèrent arbitrairement la valeur d'un double s [ ss ], consonne double très fréquente en quenya. Il reçu alors le nom d'essë (de même pour le tengwar n°32 : essë nuquerna). Ces évolutions eurent sans doute lieu autour de la séparation des Vanyar d'avec les Ñoldor, lorsque les premiers allèrent vivre avec les Valar. Elle constitua en tout cas l'une des différences majeures entre les langues de ces deux peuples, avec l'exemple bien connu de auzel > aurel On remarquera, par rapport à d'autres changements (cf. § suivants), qu'il n'était plus possible de conserver dans l'écriture la distinction étymologique entre les r des deux origines.

órë et rómen

Alors que le tengwa primaire órë portait le son [ ɹ ], un r faible et non roulé (lequel avait déjà remplacé le son [ z ]), les Ñoldor vinrent à distinguer, à l'ouverture des syllabes, un r fort et roulé [ r ]. C'est le tengwa additionnel rómen qui joua ce rôle, tandis que le tengwa órë demeurait en fin de syllabes.

  '       '    

þúlë

L'évolution de la valeur associée au tengwa þúlë fut initiée avant l'Exil (vraisemblablement entre la séparation des Ñoldor d'avec les Vanyar et la mort de Míriel). L'évolution de [ θ ] pour [ s ], qui s'est faite contre l'avis de Fëanor et des Lambengolmor, est expliquée en détail dans le Shibboleth. Mais, nous dit-on, la distinction fut maintenue dans l'écriture, suivant en cela au moins les recommandations des Lambengolmor. Ainsi des mots tels que þúlë, þerindë, iþil ont-ils toujours été écrits avec le tengwa þúlë et non silmë. Pourtant, le Namárië emploie le tengwa silmë pour les mots hísië et súrinen alors que l'étymologie de ces deux mots est peut-être être reliée à KHITH- et THU- (l'on aurait alors attendu híþië et þúrinen) ... Dans ses écrits les plus tardifs, Tolkien a reporté dans l'écriture latine la distinction étymologique par l'utilisation de la lettre þ à la place de la lettre s (mais dans les autres textes la lettre s seule est employée).

  '       '    

ñoldo et ñwalmë

À l'initiale des mots, la valeur [ ŋ ] évolua pour [ n ]. Par exemple le mot ñoldo autrefois prononcé [ ŋoldo ] vint à être plus simplement prononcé [ noldo ]. Le cas des tengwar ñoldo et ñwalmë est ainsi tout-à-fait comparable avec celui du tengwa þúlë. Le changement aura été limité à la seule prononciation ; c'est ainsi que dans ses écrits les plus tardifs notamment, Tolkien maintient dans l'écriture latine la lettre ñ à l'initiale des mots concernés.

  '    

wilya

De même le tengwa wilya, mais à l'initiale des mots seulement : le son [ w ] devint [ v ]. On peut supposer que la distinction était comme dans les cas précédents maintenue à l'écrit. Notre seul exemple, cependant, le mot vanwa dans le Namárië fait usage du tengwa vala, alors qu'il est construit sur une racine en W- ... La transcription latine est elle restée assez libre à ce niveau ; le plus souvent, elle a suivi l'évolution phonétique, et l'on rencontre plus volontiers v que w à l'initiale des mots.

  '    

aha, hwesta, hyarmen et halla

Les trois tengwar aha, hyarmen et halla ont été transcrits par un h dans l'écrit latin.

À une époque le son [ x ] vint à se prononcer à l'initiale des mots comme un [ h ] aspiré. Le mot harma [ xaɹma ] par exemple se prononça [ harma ]. Ce changement de prononciation fut accompagné d'un changement dans l'écriture elfique. Le tengwa halla qui marquait le [ h ] initial fut utilisé à l'initiale, et le tengwa n°11 qui transcrivait le son [ x ] ne fut plus utilisé qu'en position intermédiare : anciennement nommé harma justement, il fut rebaptisé aha. Après l'Exil le tengwa aha garda cette valeur [ x ] qui ne pouvait plus survenir qu'en position intermédiaire (il s'adoucit cependant en [ ç ] après e et i — comme en allemand).

La même évolution phonétique fit que la valeur du tengwa hwesta passa du son [ xw ] au son  ].

Plus tard (au moment vraisemblablement où l'on abandonna l'usage de la série des palatales) le tengwa hyarmen [ ç ] prit la valeur [ h ] — le hy [ ç ] initial étant dès lors transcrit par l'apposition du tehta y au tengwa hyarmen. Il remplaça donc le tengwa halla qui transcrivait jusque là le son [ h ] à l'initiale des mots. Ce dernier ne joua plus ce rôle mais il restait encore employé, lorsqu'il était disposé devant les tengwar rómen et lambë, pour marquer l'assourdissement de ces consonnes (anciennement aspirées : rh, lh).

Au final et en résumé, le son [ x ] ([ ç ] derrière e et i) fut transcrit par le tengwa aha, c'est un son qui ne survenait plus qu'en position intermédiaire. En position initiale, on vint à utiliser exclusivement le tengwa hyarmen [ h ] initial, lequel remplaça le tengwa halla dans ce rôle. Ce dernier ne servait plus alors qu'à assourdir certaines consonnes initiales. Dans la transcription latine, on a un h quel que soit le tengwa ; pour retrouver la graphie elfique correspondante, la confusion est évitée puisque le tengwa est identifiable d'après la position du h et, éventuellement, sa combinaison avec une autre consonne (pour des mots comme hresta , hrívë , hlívë , hlócë tengwa halla).

  '       '       '       '       '    

Changements tardifs

À la fin du Troisième Âge, la prononciation du quenya avait évolué, spécialement dans l'usage qui en était fait par les Hommes. Cf. la synthèse du Dictionnaire d'Édouard Kloczko. Ces évolutions n'affectèrent que la prononciation et l'écrit devait demeurer inchangé. Parmi ces évolutions tardives du quenya exilien, on pourra noter celle du h intermédiaire (donc le tengwa aha) qui, même chez les Elfes, vint à être prononcé [ h ] au lieu de [ x ] / [ ç ] — sauf devant t où il gardait ces valeurs.

II.4   La ponctuation

L'alphabet en I.3 a été déduit du seul Namárië, avec les précautions dont nous avons parlé.

Le symbole n°3, attribué à notre virgule, semble plus largement dénoter d'une pause au sein d'une même phrase. Ainsi est-il utilisé entre chaque vers du poème ou presque, même là où Tolkien n'a pas transcrit de virgule dans la graphie latine. Le symbole n°4 marquerait lui les pauses au sein d'un même paragraphe : le Namárië lui attribue à la fois une correspondance avec le point et avec le point-virgule.

Contrairement à notre usage, où le point d'interrogation et le point d'exclamation expriment de fait une pause (ils ne sont jamais suivis d'un point ou d'une virgule), les symboles elfiques n°1 et 2 sont suivis des symboles n°3 et 4 s'il y a lieu : l'interrogation et l'exclamation sont indépendantes du reste de la ponctuation. Cf. aldaron ! où l'exclamation est rendue par les deux symboles n°2 et 3 (marquant à la fois l'exclamation et la fin du vers).

II.5   La numération

Tout comme en I.4, les informations sur la numération sont tirées du Dictionnaire d'Édouard Kloczko. Les Eldar utilisaient deux systèmes numériques : le système décimal (base 10) et le système duodécimal (base 12). Les deux derniers chiffres transcrits en latin A et B ne concernent donc que le système duodécimal.

La correspondance avec nos propres systèmes numériques est directe. Toutefois, dans l'écrit elfique, les chiffres d'un nombre s'écrivaient de la droite vers la gauche : d'abord l'unité, puis (dans le système décimal) la dizaine, la centaine, etc. Par ailleurs, sauf si toute confusion était impossible avec les lettres, les chiffres étaient généralement pourvus d'un point (au dessus du tengwa dans le système décimal, au dessous dans le système duodécimal) ; dans le cas des nombres de plusieurs chiffres les points pouvaient être étendus en un trait continu.

 

  

III. APPLICATION

Le petit programme que nous avons développé convertit la saisie (dans un alphabet latin) d'un texte de quenya en son écriture fëanorienne. Il devrait donc permettre de la meilleure façon (la pratique) d'assimiler ce que nous avons vu :).

III.1   Les pré-requis

L'unique « nécessité » de cette application est de disposer sur son poste de l'une ou de plusieurs de ces (magnifiques) fontes Tengwar : Annatar, Cursive, Elfica, Eldamar, Formal, Hereno, Mornedhel, Parmaite, Quenya, Sindar. D'autres polices ont été écartées, pour diverses raisons (le plus souvent parce qu'elles utilisent un code incompatible avec le standard des premières fontes). Parmi celles qui ont été retenues, les fontes Annatar, Elfica, Formal, Quenya et Sindar sont les plus « robustes ». Les autres pourront faire l'objet de quelques ajustements par le transcripteur.

En théorie, le transcripteur ne devait pas requérir de configuration internet particulière. En pratique, il fonctionnera de façon optimale avec Vivaldi, Chrome, Firefox, Safari et Opera. En revanche, Internet Explorer semble intégrer les caractères elfiques avec autant de réussite que Gollum du lembas :) — c'est pourquoi avec ce dernier navigateur le transcripteur forcera une partie de son paramétrage, tandis qu'il s'agira de s'abstenir de saisir des retours à la ligne ou de trop longues phrases ...

III.2   La saisie

Il n'y a pas de contrôle de la saisie — à peine un filtre phonétique : le transcripteur est programmé pour vérifier l'appartenance au quenya des sons demandés et non pour vérifier l'orthographe ou la syntaxe :). Seuls les sons appartenant à la phonologie du quenya seront donc transcrits.

Les trémas sur les voyelles courtes sont à la convenance de l'utilisateur : ils ne sont ni exigés ni refusés par le transcripteur. Les voyelles longues pourront être saisies ou bien avec l'accent aigu (á, é, í, ó, ú Á É Í Ó Ú ), ou bien en doublant les voyelles (aa, ee, ii, oo, uu, Aa, Ee, Ii, Oo, Uu). La variante du y du Galadriel's Lament est proposée ; cependant les fontes disponibles à ce jour ne gèrent pas le positionnement de ce tehta à l'intérieur du tengwa lambë aussi cet usage pourra donner lieu à quelques acrobaties voire à la substitution occasionnelle de ce tehta par le tehta classique. Pour forcer le port d'un tehta (long ou court), il suffira de faire suivre la voyelle (ou la diphtongue) du signe « + ».

Les équivalences consonnantiques sont toutes possibles. Ainsi, le c et le k sont tous deux autorisés. De même, on pourra saisir cs, ks ou x. Ou encore qu aussi bien que q. La lettre þ pourra être saisie elle-même, mais l'élément th aura le même effet. De la même façon, les mots s'écrivant à l'initiale avec ñ, ñw pourront être saisis avec ng, ngw (et ñw peut même être saisi nw à l'initiale car sa position empêche toute ambiguité). Les différentes utilisations du h ne sont pas équivoques (du fait de la position de la consonne) : le transcripteur est à même de déterminer seul le tengwa idoine. Il intègre néanmoins les deux correspondances proposées dans le Dictionnaire d'Édouard Kloczko pour qui tient à marquer la différence dans sa saisie latine : la combinaison ch pourra donc être utilisée pour le h du tengwa aha, et 'h pour le h du tengwa halla.

Les élisions sont marquées par l'apostrophe, et les lettres élidées ne seront pas transcrites, bien sûr. Les mots composés pourvus d'un tiret seront transcrits d'un seul bloc, en accord avec les exemples du corpus. La ponctuation est transcrite selon le modèle du Namárië. Le point final devra être saisi par un signe « ~ ».

Les nombres doivent être saisis en base décimale, même lorsque le mode duodécimal est sélectionné, le transcripteur étant muni d'un programme de conversion automatique. Seule la fonte Annatar est capable de placer des traits au-dessus ou au-dessous des tengwar de plus d'un chiffre ; pour les autres, la transcription des chiffres sera toujours pourvue de simples points. La fonte Cursive ne dispose pas des chiffres.

III.3   Le transcripteur

       
fonte : ital.
voyelles a :     omission
e et i : et   et
o et u : et   et
y :    
forcer le port des voyelles longues :
libéraliser le port des diphtongues :
raccourcir les combinaisons ts, ps et cs :
convertir les nombres en base 12 :
distinguer les majuscules (mode HTML) :

SOURCES

Le Seigneur des Anneaux, Appendice E.

The road goes evers on, Namárië, pp. 58-62.

Le Fragment du « Galadriel's Lament » (cf. DTS 55). Merci à Måns Björkman qui a eu la gentillesse de nous communiquer une copie de cette variante du Namárië.

Vinyar Tengwar n°49, Cinq formulations de vœux en quenya.

J.R.R. Tolkien Artist & Illustrator, Le Menelluin d'Idril de Gondolin (ref n° 189).

Sauron Defeated, Lettre d'Aragorn à Sam, pp. 129-131.

Sauron Defeated, Le Manuscript de Lowdham, pp. 318-327.

The Peoples of Middle-earth, The Shibboleth of Fëanor, pp. 331-366.

The Lost Road, « The Etymologies », pp. 341-400 (corrections et d'ajouts : Vinyar Tengwar n°45 & 46).

Le Dictionnaire des langues elfiques (par Edouard Kloczko).

Amanyë Tenceli (le site de Måns Björkman). L'internaute francophone aura également la chance d'accéder à l'essentiel de ces ressources en français (et à quelques autres) en allant visiter les belles pages de nos amis de Tolkiendil.

Mellonath Daeron (l'index de la Tolkien Society Forodrim).

trame de fond © JRRVF